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Culture Musique

«Images and Words», premier acte du théâtre des rêves

Entre prouesse instrumentale, démarche artistique hardie et textes d’une poésie qui ne dit pas son nom… L’album «Images and Words» s’apparente bel et bien à l’incipit de l’œuvre magistrale de Dream Theater.

Une première (et inégalable) pierre à l’édifice du métal progressif. Avec «Images and Words», Dream Theater a offert ce qui est devenu une référence en la matière. Les cinq américains ont pioché çà et là dans tous les genres pour en extraire la substantifique moelle, celle qui fait opérer la magie au gré des huit titres de l’opus. Loin de se cantonner aux sons heavy, aux basses et autres double-pédales propres au métal, ils se sont aventuré sur des terrains déroutants parfois, audacieux toujours : funk, jazz, sons électro, les clivages du genre musical s’en retrouvent dépourvus de sens. La guitare électrique et ses riffs – exécutés avec virtuosité par un John Petrucci en passe de devenir l’un des meilleurs guitaristes contemporains – avoisinent des thèmes plus expérimentaux qui ne laissent pas indifférents. Et ce dès la première seconde : Pull me Under ouvre le bal avec un crescendo qui vous prend au cou, jusqu’à exploser avec les premières notes incisées par la voix pourtant chaude de Labrie. Ils nous forcent à la ressentir, cette urgence, celle d’un monde qui va trop vite, qui remplit nos esprits jusqu’à déborder, à coups de claviers perçants et structures rythmiques imprévisibles. Loin d’un “théâtre des rêves”, la tension ne désemplit pas dans cette atmosphère mi-onirique mi-obscure où les cauchemars offrent un sommeil agité. En témoigne la fin du premier titre qui ne présage rien de bon, avec une coupure nette comme un dernier souffle. L’angoisse, latente, plane dans tous les actes de cette aventure nocturne où les “ombres liquides étouffent [les] cris” assènent-ils dans Under a Glass Moon. Entre prouesse instrumentale, démarche artistique hardie et textes d’une poésie qui ne dit pas son nom… L’album s’apparente bel et bien à l’incipit de l’œuvre magistrale du groupe. Et on en achève l’écoute la tête pleine de leurs images et de leurs mots.

Louise Lucas.

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Culture Féminisme

Comme une lettre à la poste

Dans le recueil Lettres aux jeunes poétesses, vingt et une femmes de lettres écrivent à destination des prochaines : les plus jeunes, les contemporaines, celles qui devront en découdre. Pour sortir d’un “cis-tème” dont la littérature n’échappe malheureusement pas.

Elles s’appellent Chloé Delaume, Rébecca Chaillon ou encore Ryoko Sekiguchi. Elles sont vingt-et-un visages de la poésie du XXIème siècle et adressent leurs lettres aux jeunes poétesses. Chacune délivre, autant que faire se peut, un éventail de conseils avisés à celles qui s’apprêtent à faire le grand saut : celui d’écrire.

Le recueil n’est pas moins un guide littéraire qu’une invitation à contempler, dans “le silence des marges”, l’échange touchant et sorore de femmes qui manient les mots. Le partage d’un vécu trop longtemps tu, devenant un levier pour offrir un second souffle à une poésie jugée tantôt désuète tantôt froide, parce que prise d’assaut par des hommes “depuis des siècles assis-là”.

Au travers de chaque lettre se ressent cette bouffée d’air frais, venant caresser les joues de lectrices lassées par pléthore de décennies genrées au masculin. Elles les dessinent, les contours d’un nouvel art des mots, entre tabula rasa du “cis-tème” et écriture pour les “comme-soi”. Toutes en appellent à l’héritage laissé par leurs aïeules, de Woolf à Plath en passant par Lorde : préserver un lieu à soi, s’efforcer de garder la mainmise sur son art, dire haut et fort les injustices. Il faudra lutter contre la non-mémoire, être radicale pour être entendue, tenir le stylo d’une main franche et assurée. Parce qu’écrire au féminin vaudra toujours mieux que le neutre, assure Wendy Delorme, l’une d’entre elles.

Alors vivement demain, que fleurisse la nouvelle génération de poétesses : celles aux plumes aiguisées et vengeresses.

Louise Lucas.

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Culture Féminisme

La parole féministe en péril ?

À l’heure où les personnalités politiques s’évertuent à défendre la liberté d’expression, l’aplomb masculin a encore quelques années devant lui. Nous jouissons du droit à exprimer ses idées, mais gare à ne pas froisser ces hommes. 

Le 19 août dernier, Pauline Harmange publiait son premier essai intitulé  “Moi les hommes, je les déteste”. Ode à la sororité et plaidoyer pour une réponse offensive à la violence sexiste, ce roman a suscité l’ire d’un fonctionnaire d’État, Ralph Zurmély. Ce dernier a menacé de censure et de poursuites pénales la maison d’édition Monstrograph. Selon le ministère, il s’agissait d’une initiative personnelle.

On le comprend, un écrit publié initialement à 400 exemplaires, c’est une menace à la République, cela ébranle toute une nation !  Est-il nécessaire de préciser qu’il n’a pas daigné lire l’ouvrage ?

La parole féministe est sans cesse discrétitée et dépolitisée. Le désir de censure de ce cher M. Zurmély n’en est qu’un énième exemple. Tout propos remettant un tant soit peu en question le système dans lequel nous vivons dérange.

Quand on est du côté des dominants, on n’aime pas entendre qu’il serait temps de repenser ledit système. Alors la liberté d’expression d’accord, mais quand on cherche à enlever une à une les briques du temple-patriarcat, moins.

Ainsi on réduit les femmes au silence en les cyberharcelant, en déformant leur propos dans les médias, en nommant au ministère de l’Intérieur un violeur, en décollant les collages féministes dans les rues.

Il faut bien faire passer le message : taisez-vous, et faites le rapidement. On constate alors les gesticulations de ces mâles alpha qui s’agrippent à leur pouvoir avec force et dédain.

Ils refusent aux femmes le droit à l’expression politique, révolutionnaire et contestataire. 

Ce procédé de silenciation, les féministes dites radicales l’ont bien compris. En réponse à cette violence à leur égard, elles dégainent leur arme ultime : la misandrie. “On ne peut pas comparer misandrie et misogynie, tout simplement parce que la première n’existe qu’en réaction à la seconde“ écrit Pauline Harmange.

Il serait alors légitime de revendiquer cette aversion envers la gent masculine face à une réalité alarmante. En 2018, 99 % des personnes condamnées pour violences sexuelles étaient des hommes* et 94 000 hommes ont violé cette même année**. Elle rappelle aussi que “les misogynes usent d’armes allant du harcèlement en ligne jusqu’à l’attentat”, comme celui de 1989 à l’École polytechnique de Montréal.

Alors si la misandrie hérisse quelques poils, elle ne harcèle, ne tue, ni ne blesse personne (si ce n’est qu’une poignée d’égos).

Louise Lucas.

* Source : Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI)

** Source : Observatoire National des Violences Faites aux Femmes (ONVFF)